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L'affaire des Poisons

C'est la plus sensationnelle des causes célèbres de la magie noire. Toutes les sinistres pratiques du satanisme y sont accumulées : rites sacrilèges, rites infâmes, rites sanglants, envoutements, philtres fabriqués pour l'amour ou la mort, évocations démoniaques, égorgements d'enfants... Mais nous ne sommes plus au XVè siècle, dans le sombre mystère d'un château breton où Gilles de Rais, protégé par son rang, opérait, monstre isolé, entouré à peine de quelques complices, nécessaires pour lui procurer ses victimes ; nous ne sommes plus aux temps troublés, violents et superstitieux des derniers Valois. Un siècle a passé depuis que Charles IX mourant a questionné sur son sort la tête coupée d'un enfant (messe de sang); nous sommes à la plus éclatante époque du règne de Louis XIV, et c'est parmi les grandes dames de la cour la plus brillante du monde que se recrute, en partie au moins, la clientèle de la sorcière qu'on a appelée la plus grande criminelle de tous les temps : LA VOISIN.

Chose curieuse, le scandale éclata au moment où officiellement on commençait à ne plus vouloir admettre le crime de magie. Le parlement de Paris avait pratiquement renoncé aux poursuites de ce genre ; Colbert avait fait grâcier les sorciers condamnés à mort par le parlement de Rouen et avait fait interdire aux tribunaux d'admettre l'accusation de sorcellerie. En réalité, la magie, dans la seconde moitié du XVIIè, était partout. Dans certaines chapelles venaient des fidèles à rebours qui, par des prêtres interdits, faisaient dire des messes pour obtenir la mort de ceux qu'ils détestaient. Des femmes, malheureuses en ménage, montaient à l'abbaye de Montmartre prier SAINT RABONI de RABONIR leurs maris ; pour certaines d'entre elles, rabonir voulait dire faire mourir. Le commerce des philtres était usuel et souvent ces philtres étaient des philtres dans le genre de ceux de la Brinvilliers, de simples poisons, des "poudres de succession". Et la sorcellerie, empoisonneuse ou non, a cessé d'être chose populaire ; elle a gagné la bourgeoisie, elle a gagné surtout les hautes classes, la noblesse, où elle devient une mode, une fureur qui ne recule devant rien... C'était le snobisme de l'époque.

Des morts bizarres et foudroyantes avaient lieu qui bouleversaient la cour et la ville. Un billet trouvé dans un confessionnal fit connaitre un projet d'empoisonnement contre le roi et le dauphin. Peu après (décembre 1677) on arrêta un ancien officier, Vanens. les papiers saisis sur lui révélèrent une association étrange de faux monneyeurs, d'alchimistes, de magiciens noirs, de satanisants ; association composée de prêtres, d'officiers, de financiers, de femmes du monde, de laquais, de filous, de gens sans aveu. En même temps , les pénitenciers de Notre Dame avertissaient la Justice, sans nommer personne, que beaucoup de gens qui se confessaient à eux s'accusaient d'empoisonnement.

La formidable affaire à jamais fameuse sous le nom de l'affaire des poisons fut déclenchée par les bavardages d'une femme prise de vin. Cette femme, Marie Bosse, une tireuse de cartes bien connue, se vanta ouvertement, au cours d'un diner abondamment arrosé de bourgogne, d'avoir fait fortune rapidement. "Encore 3 empoisonnements, elle pourrait se retirer..." Le propos fut rapporté par un convive au capitaine exempt Desgrez, celui qui avait arrêté à Liège, ou elle s'était enfie, la marquise de Brinvilliers. La femme d'un archer, envoyée chez Marie Bosse pour se plaindre de son mari, obtint très aisément du poison. Le lieutenantde police LA Reynie fit arrêter la devineresse (janvier 1679) et aussi une autre femme, La Vigoureux, chez qui avait eu lieu le diner ou Marie Bosse a trop parlé. Les deux femmes interrogées firent des révélations qui dévoilèrent une série de crimes auprès desquels les crines de la Brinvilliers qui avaient, 4 ans avant, bouleversé l'opinion, étaient relativement peu de choses. Il s'agissait ici d'une véritable association pour exploiter presque ouvertement le sacrilège et l'empoisonnement. On parvint vite à celle qui en était le centre, Catherine Monvoisin, dite la voisin, qui fut arrêtée au mois de mars, comme ellle sortait de la messe, car, chose bizarre, cette criminelle endurcie était pieuse. Il fut prouvé qu'avant de sacrifier les enfants nouveau nés elle les ondoyait.

La Voisin

Les sorcières,tireuses de cartes, chiromanciennes, devineresses de tout genre avaient, à l'époque, nous l'avons dit, grand succès et la Voisin était la plus célèbre de toutes. Elle avait, au moment de son arrestation, une quarantaine d'années. C'était une petite femme assez corpulente, presque jolie, avenc les yeux les plus vifs et les plus pénétrants. Son mari Antoine Monvoisin avait été établi joaillier sur le pont Marie, mais, ayant fait de mauvaises affaires, il avait du quitter sa boutique et c'est alors que la Voisin avait résolu de se faire devineresse, ayant appris la chiromancie dès l'age de 9 ans. Elle lisait d'ailleurs plus sur les visages de ses clients ou clientes que dans les lignes de leurs mains et ne dédaignait pas d'employer des trucs divers, escamotages, renseignements habilement soutirés, pour éblouir ladite clientèle, l'assurer de son pouvoir exceptionnel, de ses dons surnaturels. Elle avait une vogue extraordinaire : les amoureux, les ambitieux, les chercheurs de trésors, tous ceux qui étaient curieux de connaitre l'avenir et d'obtenir des renseignements secrets ou des aides mystérieuses la consultaient. Dans sa maison de Villeneuve sur Gravois (près des remparts, au bout du quartier ST Denis), la clientèle se pressait dès le matin. On la faisait venir dans les salons. Elle gagnait des sommes énormes : cent et jusqu'à cent cinquante mille francs (valeur de l'époque) par an, mais elle dépensait sans compter. la robe et le manteau qu'elle revêtait pour rendre ses oracles avaient été tissés pour elle et lui avaient coûté 15000 livres, ce qui ferait maintenant plus de 38000 Euros. Le manteau, comme les souliers, étaient décoré d'aigles d'or fin. Elle consacrait beaucoup d'argent à subventionner les alchimistes. Elle tenait table ouverte, aimant la bonne chère et surtout le bon vin, dont elle abusait volotiers, peut être pour étouffer les remords qui l'assaillaient. Elle payait richement ses amants qui étaient nombreux et parmi lesquels était le bourreau de Paris ; celui ci la fournissait de graisse de pendu, substance nécessaire à certains maléfices. Notons enfin qu'elle avait, bien qu'elle fit bâtonner et envoûter son mari, le sentiment de la famille assez développé. A une amie, La Lepère, qui la mettait en garde contre le péril qu'elle courait en commettant tant de crimes, elle répondit qu'elle avait 10 personnes à nourrir dont sa vieille mère.

La Voisin, de la magie blanche, était passée très vite à la magie noire ; connaissant la médecine, élle était passée des recettes qui guérissent aux recettes qui tuent ; sage femme, elle était devenue avorteuse et tueuse d'enfants. Les massacres d'innocents qu'elle commit furent effroyables. Au dessus du cabinet où elle donnait ses consultations, il y avait une soupente avec un four. Elle avoua avoir brulé dans ce four, ou enterré dans son jarrdin, les corps de plus de 2500 enfants. Quantité de petits ossements furent en effet retrouvés. Nous parlerons tout à l'heure des autres crimes de la Voisin et de ses complices, hommes et femmes, magiciens et sorcières. Notons dès maintenant que la Voisin fut comdamné par la Chambre ardente à être torturée et brulée. On raconta que par ses relations avec le diable elle sut son arrêt 4 jours avant qu'il fut prononcé et que cela ne l'empêcha pas de continuer jusqu'à la fin à boire, manger, faire débauche et chanter des chansons obscènes. Vêtue de blanc et une torche à la main, elle fut, dans un tombeau, conduite à la mort, le 22/02/1680. Mme de Sévigné écrit : "on la mit sur le bûcher, assise et liée avec du fer ; on la couvrit de paille ; elle jura beaucoup ; elle repoussa la paille 5 à 6 fois; mais enfin le feu s'augmenta et on l'a perdue de vue, et ses cendres sont en l'air présentement."

La Chambre Ardente

La Chambre ardente, tribunal d'exception institué pour juger rapidement et énergiquement les coupables de l'Affaire des poisons, fut appelé ainsi parce qu'elle était tendue de noir et éclairée de quantité de flambeaux. Elle se réunit pour la première fois le 10 avril 1679 à l'Arsenal et prit la décision que l'instruction demeurerait secrète afin que le public ne connaisse pas le détail des pratiques diaboliques non plus que la composition des poisons employés... A cette époque, l'empoisonnement inspirait une terreur d'autant plus grande qu'on ne savait scientifiquement en retrouver trace, la plupart du temps, dans les corps des victimes. La Reynie était rapporteur auprès de la Chambre Ardente dont les opérations reposèrent presque exclusivement sur lui. Les crimes, les scandales révélés successivement dépassèrent l'imagination. La Chambre Ardente, depuis sa première réunion jusqu'à la dernière, en date du 21 juillet 1682 avec une suspension d'octobre 1680 à mai 1681 délibéra sur le sort de 442 accusés. Certains de ceux ci se suicidèrent, ou moururent en prison. 36 furent condamnés à la question et au bûcher, d'autres aux galères ; d'autres au bannissement ; d'autres à l'emprisonnement perpétuel. Certains vécurent 40 ans et plus dans des cachots où ils étaient attachés au mur par des chaînes de fer. Une quantité de coupables échappèrent, leurs complices étant trop haut placés pour que le procès eut lieu. Parmi les principaux accusés se trouvaient, outre la Voisin, la Vigoureux et la Marie Bosse, plusieurs sorcières : la Lepère, la Filastre, la Dodée, et , comme hommes : Lesage, Chanlieu, Collart, Mariette, Joseph Cotton, Dubousquet, bien d'autres parmi lesquels l'infâme Guibourg, prêtre défroqué, âgé de 70 ans, renégat, sacrilège, égorgeur d'enfants, officiant de messes noires, dites sur le ventre nu d'une femme... Et ces messes noires, noires et sanglantes, dans quelles conditions les disait on ? Et pour quelles clientes préparait il les immondes pâtes conjuratoires ou entraient du sang d'enfant égorgé, de la cendre d'enfant brulés, de la semence humaine ? Les plus grandes dames de la cour s'étaient prêtées à ces turpitudes, les avaient sollicitées, se rendant nuitamment soit dans la maison de la Voisin dont la fille, Margueritte Monvoisin, leur ouvrait, mystérieuse, la porte, soit dans quelque maison de banlieue.

Madame de St Pont, la Maréchale de La Ferté, la princesse de Tingery, Mme d'Argenson, la comtesse de Soissons, la duchesse de Bouillon, ces deux dernières nièces de Mazarin, furent compromises, ainsi que quantité de dames de moindre importance : Mme de Dreux, la présidente Lefréton, Mme de Poulaillon. Toutes bénéficièrent d'une indulgence extraordinaire. Le roi permit à Olympe Mancini ("profonde en crimes et docteur en poison" dit Michelet) de fuir en Belgique ; d'autres, bien que reconnues empoisonneuses, furent acquittées. Cependant, une certaine Mme Brunet, simple bourgeoise il est vrai, fut condamnée et exécutée ; elle avait empoisonné son mari pour épouser le musicien Philibert. Le scandale, en s'étendant, devint terrible et atteignit Mme de Montespan. La Filastre et Marguerite Monvoisin déclarèrent que l'illustre favorite avait fait dire par Guibourg des messes noires sur elle-même pour gagner d'abord, pour conserver ensuite, la faveur du roi auquel elle avait fait absorber des poudres comme il est dit plus haut. Elle avait essayé aussi, par sortilège et poison, de faire périr la duchesse de Fontanges, sa rivale. Louis XIV intervint alors et fit suspendre les séances de la Chambre ardente, malgré l'opposition de La Reynie ; et le roi par sa suite fit brûler les pièces où Mme de Montespan était nommée. Mais il se sépara d'elle et fit enfermer la Desoeillets, sa suivante et complice.

Ce qu'on savait du scandale bouleversait la cour et la ville. Beaucoup critiquaient la sévérité des juges de la Chambre ardente, sévérité bien relative ; et le zèle indiscret qu'apportait La Reynie dans la répression de cette longue suite de forfaits. Les accusés montraient parfois une arrogance extrême ; Marie Anne Mancini, duchesse de Bouillon, avait cherché, par la magie et le poison, à se débarrasser de son mari pour épouser le duc de Vandôme, son amant. Le duc de Bouillon, cependant, et bien qu'il l'eût appris de Louis XIV lui même, accompagna sa femme quand elle dut comparaitre. Il la tenait par la main droite, et le duc de Vandôme la tenait par la main gauche. Ils étaient arrivés dans un carrosse à 6 chevaux que suivaient, en manièrede manifestation sympathique, 20 autres carosses chargés de gentilshommes et de dames de la cour. La duchesse répondit à ses juges avec une hautaine insolence, déclarant qu'elle n'était venue que par respect pour le roi mais non pour la cour qu'elle ne reconnaissait nullement. A La Reynie qui lui demandait si réellement elle avait vu le diable chez les sorcières, elle répondit en le regardant fixement : "je le vois en ce moment, il est vieux, laid, et déguisé en conseiller d'état". Elle fut toutefois exilée.

Toutes les femmes compromises ou qui croyaient l'être n'avaient pas tant de courage. L'une d'elles, Mme de T., savait que son nom se trouvait sur un livre saisi chez la Voisin et vivait dans des transes affreuses. Un jour on vient la prévenir qu'un homme veut lui parler. "Sachez son nom", dit elle tremblante, au domestique. Celui ci revient : "il se nomme Desgrez..." Elle blêmit, c'est le célèbre exempt. Il vient pour l'arrêter, elle est perdue. Elle se jette aux pieds de son mari, avoue qu'elle a été une fois chez la Voisin, pour... demander une recette afin d'engraisser... Le mari qui ne doute pas de sa parole la rassure, mais Desgrez ne s'en va pas... Elle s'affole, veut se suicider... Le mari l'en empêche et fait demander au visiteur ce qu'il veut... L'autre s'explique, il s'appelle bien Desgrez, mais il n'est, lui, que tapissier et vient pour une commande... Cette aventure amusa le public, las des sombres histoires dont il était tous les jours rassasié... C'était la note gaie, qui se mêle si souvent à l'horrible réalité.

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