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Salem 1692 : la grande chasse aux sorcières

Texte proposé par Gwion.

A la fin du XVIII, les paniques collectives et les chasses aux sorciers ont pratiquement disparu en Europe. C'est alors que le processus se réveille outre-Atlantique, avec une violence inouïe.

UN TERRAIN MALSAIN

Le Massachusetts vient juste d'être colonisé. La vie y est extrêmement difficile. Les hommes réagissent à la dureté des temps par une religion étroite et exacerbée, empreinte de terreur et de superstition. On en vient à imaginer que le Massachusetts était le domaine du diable avant la colonisation, et que celui-ci cherche à perdre les hommes par l'entremise de ses sorciers. Pour faire échec au Malin, il faut mener une vie absolument pure... au risque de devenir fou d'ennui et de refoulement.

En 1688, une « sorcière » est exécutée à Boston : une gamine de treize ans se roule par terre en hurlant des blasphèmes et finit par nommer sa tortionnaire : la blanchisseuse avec laquelle elle a eu des mots au sujet d'un drap égaré. La pauvre femme est immédiatement pendue. Et l'exemple de la jeune hystérique va faire école.

LE DÉPART DE L'AFFAIRE DE SALEM

Salem est un petit village où les jeunes filles s'ennuient ferme, écrasées qu'elles sont par le puritanisme, les durs travaux des champs et l'autorité toute puissante du père ou du maître.

Une occasion de se distraire se présente : le nouveau pasteur, M. Paris, a à son service une esclave noire des Barbades, Tituba. Cette femme a un indéniable talent de conteuse. Le soir, à la veillée, elle raconte à Betty, la fille du pasteur, et à Abigaïl, la nièce orpheline qu'il élève, des histoires merveilleuses... et passablement effrayantes pour des enfants. Les petites du presbytère en parlent à leurs compagnes, et bientôt ces demoiselles envahissent la cuisine de Tituba. Le cercle comprend une quinzaine d'auditrices, âgées de neuf à vingt ans. Betty Paris est la plus jeune.

Se passe t-il des choses moins innocentes dans la cuisine de Tituba ? On l'ignore, la question n'ayant jamais été posée aux intéressées. Dans sa pièce de théâtre, « Les Sorcières de Salem », Arthur Miller prétend que l'esclave a initié les fillettes à des rites magiques. C'est possible, puisque les esclaves noirs sont responsables de l'implantation, dans le Nouveau Monde, du culte vaudou. Mais on peut aussi admettre que la simple répétition de contes traumatisants a suffi à déséquilibrer des esprits hantés par la crainte du Diable.

Betty Paris tombe malade. Elle donne des signes de dérangement mental, souffre de convulsions et de délire. Il semble difficile de l'accuser de simulation... surtout quand on sait que son frère sera lui aussi atteint de troubles nerveux, beaucoup plus tard, et en l'absence de tout contexte diabolique.

Mais voici qu'à leur tour, les autres fillettes de Salem succombèrent au même mal... en plus spectaculaire. Le docteur ne parvenant pas à les soulager, on soupçonne aussitôt l'intervention de Satan.

Tituba est désespérée par la maladie de Betty qu'elle adore. Elle croit dur comme fer à la possession de sa petite, et justement elle connaît le remède : elle pétrit un gâteau auquel elle mêle de l'urine de l'enfant et donne le tout à un chien. Normalement le mal doit se transmettre à la bête. Malheureusement le chien se trouve plutôt bien de cet encas inespéré, et Betty continue de délirer. Pour comble de malheur, le pasteur apprenant quelles abominations ont eu lieu sous son toit, entre dans une violente colère. En partie pour se disculper aux yeux de ses paroissiens, en partie par conviction personnelle, il convoque à Salem un tribunal chargé d'élucider cette diablerie.

Dans son délire, Betty fait allusion aux histoires de Tituba qui l'ont marquée. On en conclut immédiatement que l'esclave a livré l'enfant au Démon. Pour ne pas être en reste, le choeur des « possédées » confirme l'accusation portée contre Tituba.

LE PROCÈS

Le procès s'ouvrit le 1er mars 1692. Parmi les membres du tribunal se trouve un curieux personnage : Cotton Mather. Intelligent, érudit, auteur d'ouvrages théologiques et philosophiques qui font référence dans le monde entier, il est obnubilé par la peur du Diable. En partant d'une étude pertinente sur l'interférence des forces spirituelles et matérielles, il s'est dérangé l'esprit en recherches ésotériques. Dans un procès en sorcellerie, on peut prévoir qu'il verra le démon partout !

On appelle les jeunes possédées à la barre des témoins, et tout le drame viendra de ce que, pour la première fois de leur vie, on leur donne de l'importance. Bien vite, elles mettront au point un scénario qui coûtera la vie à tant de gens : si la personne est un sorcier, elles voient apparaître son spectre et ressentent les tourments de l'enfer. Il leur suffit alors d'entrer en convulsions pour faire condamner le malheureux.

Quant à Tituba, la pauvre esclave, elle se trouve à même de tenir en haleine un aréopage de messieurs de la ville ! Elle est prête à tout pour épater son auditoire. Elle a d'ailleurs intérêt à admettre l'accusation, puisqu'une sorcière qui avoue sa faute voit la peine de mort commué en prison à vie. Pendant trois jours, elle évoque donc les sabbats auxquels elle a participé avec un incroyable luxe de détails. Cependant elle ne dénoncera jamais personne. Elle fera seulement état d'une grande activité satanique à Salem et aux environs... ce qui épouvante les juges et relance le débat. Finalement, Tituba est incarcérée à la prison de Boston.

Les jeunes hystériques trouvent les événements forts excitants, et entendent bien ne pas retomber dans leur néant. Et même, voyant les juges prêts à avaler n'importe quoi, elles se mettent à accuser des citoyens de Salem jusqu'ici universellement estimés. Abigaïl Williams, onze ans, et Ann Putnam, douze ans, les plus jeunes de la bande, en sont les chefs. Leurs artifices les plus grossiers sont admis comme des preuves irréfutables. Pour appuyer leurs dires, elles exhibent devant le tribunal des bras griffés et mordus par des soi-disant spectres, la veille au soir... Et messieurs les juges marchent !

L'affaire prend des proportions effrayantes. Personne n'est plus à l'abri des délations de ces filles. L'inconscient Cotton Mather prend l'initiative de faire tester par ses « sybiles » les villages environnants pour voir si quelques sorciers ne s'y cacheraient pas... et la prison de Boston se remplit du même coup : la bande ivre de sa puissance envoie maintenant à la potence des gens qu'elle n'a jamais vus, hommes, femmes, vieillards, enfants, par simple désir de s'imposer.

JOHN PROCTOR ET REBECCA NURSE

Mary Warren a vingt ans. Elle est servante chez le fermier John Proctor, homme intègre et de bon sens. A diverses reprises, il a fait état de son scepticisme en ce qui concerne les maux dont souffrent les filles du village. Aussi un beau jour, le voyant approcher, Mary entreprend de se rouler par terre en hurlant. Si après ça il n'est pas convaincu... Mais John Proctor se borne à lui ordonner sèchement de cesser ses simagrées sous peine de recevoir la plus formidable fessée de son existence. Mary retourne prudemment à son rouet... mais elle combine sa vengeance.

Un mot glissé à ses complices, et dès le lendemain le groupe entre en transe sur le passage de Madame Proctor. Celle-ci est aussitôt arrêtée, jugée et condamnée. Et comme John Proctor prend la défense de sa femme, on l'accuse lui aussi de sorcellerie.

Mais Mary n'a pas songé que les biens d'un condamné étaient immédiatement confisqués et vendus. Elle se retrouve donc du jour au lendemain dans une maison sans meubles, sans provisions, sans bétail, avec en supplément de programme cinq petits Proctor pendus à ses basques et lui demandant à manger. La situation la dépasse nettement. Que faire de cette encombrante smala en l'absence des parents ? Le seul moyen serait de dénoncer publiquement la supercherie... et Mary s'exécute, la mort dans l'âme.

Mais en apprenant le revirement de Mary, ses anciennes acolytes l'accusent de s'être rangée dans le clan du diable. Mary n'a plus qu'à se raviser, à renier ses aveux, et à rentrer dans le rang...

John Proctor refusant de donner raison à une poignée de folles, même au prix de sa vie, sera pendu séance tenante. Sa femme qui attend un enfant doit subir le même sort dès son accouchement. Heureusement, la situation aura alors évoluée et Elizabeth Proctor sera sauvée in extremis.

Rebecca Nurse est une digne femme de soixante et onze ans, mère d'une famille nombreuse et unie. Dès son arrestation, bon nombre de notables adressent des suppliques au tribunal et se portent garants de son honorabilité. Ses enfants remuent ciel et terre pour la disculper, et un instant la conviction du tribunal vacille. Rebecca Nurse est acquittée. Mais le chahut se déchaîne de telle façon parmi les « possédées » que les juges reviennent sur leur décision. Ils ont peut d'établir un précédent fâcheux... On ne va pas se mettre à innocenter à tour de bras, quand même ! Où irait-on ? Rebecca Nurse est donc exécutée.

Peu à peu pourtant, devant la répétition de cas analogues, l'autorité britannique s'émeut. Et le gouverneur Phips est chargé d'enquêter sur ce qui se passe à Salem.

LE GOUVERNEUR PHIPS

Phips examine personnellement l'affaire, procès par procès. Il tente de raisonner les juges : certes, les jeunes filles sont de bonne foi, mais si le diable est derrière l'affaire, il a pu les tromper elles aussi. On commence à accorder moins de crédit à leurs grimaces.

Puis Phips, désireux de ne pas braquer l'opinion sans pour autant laisser commettre d'exaction, aide secrètement certains accusés à fuir Salem avant leur arrestation. Il prend sur lui de réhabiliter les condamnés dont la culpabilité lui paraît improbable. Procédant ainsi par paliers, Phips met fin en 1693 à toutes les procédures en cours. Seul Cotton Mather en est désolé. Il « allait » débarrasser Salem de ses sorciers, et voilà qu'on lui met des bâtons dans les roues !

LES SUITES DE L'AFFAIRE

Virtuellement donc, l'affaire s'achevait. Mais le village avait perdu une grande partie de sa population. Un siècle plus tard, la plupart des champs étaient encore en friche. En outre, un climat de haine et vendetta devait régner longtemps.

Le révérend Paris fut chassé par ses ouailles. N'était-il pas à l'origine de ce massacre, pour avoir cru aveuglément les élucubrations de fille et de sa nièce ?

Betty eut relativement peu de part aux événements. Elle avait la chance d'avoir une mère intelligente qui, la voyant longue à se remettre de sa maladie nerveuse, l'envoya se reposer chez des amis éloignés de Salem. Elle ne fit donc jamais partie de la bande d'accusatrices. Par la suite, on ignore ce qu'elle devint.

Ann Putnam, âgée de vingt-six ans, hagarde et malade, fit des excuses publiques et révéla la supercherie dont elle et ses compagnes s'étaient rendus coupables. Pour le reste de la bande, deux seulement se calmèrent et se marièrent. Les autres restèrent à jamais incapables de s'intégrer à la société.

L'affaire de Salem eut des suites mineures jusqu'en notre vingtième siècle. Alors seulement, certains descendants de « sorcières » songèrent à demander officiellement la réhabilitation de leurs ancêtres... qu'on leur accorda bien volontiers !

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