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Sorcières du Moyen Âge et Inquisition

Au Moyen-Âge, un demi-million de sorcières périrent sur le bûcher, furent noyées ou pendues. Ces actes barbares ont laissé dans notre inconscient collectif l'idée que la sorcière était coupable d'actes maléfiques. Pourtant, les sorcières du Moyen-Âge étaient dans plusieurs cas l'unique médecin du peuple. Elles étaient aussi parfois des sages-femmes, des herboristes, des prophétesses, des clairvoyantes et faisaient souvent partie de cercles de prières. À l'instar des sorcières du nouvel âge, c'est la magie blanche qu'elles pratiquaient, celle qui procède d'intentions bienveillantes.

Nous sommes à l'aube du 15e siècle. Une femme, nommons-la Régine, vêtue d'une robe de bure élimée, passe devant l'église où, comme après chaque messe dominicale, un médecin vend son temps à des malades venus chercher un soulagement à leurs malaises. Elle caresse distraitement l'étoile à cinq branches qu'elle porte au cou et qui symbolise l'énergie féminine. Elle hâte le pas, car les pauvres, ceux qui ne peuvent payer le médecin, l'attendent à sa modeste demeure. Pour l'indigent, elle est la guérisseuse-bienfaitrice, celle qui donne des herbes, qui accomplit des rites magiques pour conjurer la maladie, qui prie pour lui, concocte des philtres d'amour ou fabrique des talismans. Régine croise le regard courroucé du curé. Il sait qu'elle n'a pas assisté à la messe et qu'elle vient de participer à un rituel de prières auprès du grand chêne situé à l'orée de la forêt. Elle y a rencontré une nouvelle venue. Certains l'appellent la Sage-femme, d'autres la Bella Donna, du nom d'un médicament, la belladone, qu'elle utilise couramment...

Régine marche d'un pas alerte ; elle se sent en harmonie avec les autres et avec l'univers. Elle ne sait pas qu'une terrible épée de Damoclès est suspendue au-dessus de sa tête et que dans moins d'une journée, elle sera traînée dans les rues de la ville, collier au cou. Les inquisiteurs sont aux portes de sa localité. L'après-midi même, un juge affichera sur la place publique un avis demandant à chacun "qu'il dénonce dans les 10 jours toute personne soupçonnée d'être hérétique ou sorcière." Régine sera accusée de sorcellerie par un homme à qui elle a refusé ses "faveurs". La sage-femme rencontrée au rituel de prières sera elle aussi arrêtée. On la dit coupable d'avoir rendu impuissant le père du dernier bébé qu'elle a aidé à venir au monde. Et une amie de Régine, guérisseuse ayant soulagé des centaines de personnes, a commis une erreur qu'elle paiera de sa vie. En effet, la belladone prescrite à une paysanne venue la consulter a provoqué chez cette dernière des symptômes semblables à la possession diabolique : comportements psychiatriques, dilatation exagérée de la pupille, hallucination visuelles, respiration désordonnée. Le médecin de l'époque comment la même faute parce qu'il ignore lui aussi qu'un dosage excessif de belladone provoque de telles conséquences. Mais les médecins, sauf s'ils sont juifs, sont très rarement persécutés par les inquisiteurs.

Régine et ses amies sont torturées pendant des jours. Sans répit. Elles finissent par "avouer" qu'elles volent dans les airs, participent à des sabbats, ont des rapports sexuels avec le Diable. Ce qui est faux bien sûr. Elles disent ce qu'on attend qu'elles disent afin de se soustraire à la souffrance. Elles finissent sur le bûcher, en présence de centaine de gens venus assister à ce "spectacle". Le dernier regard de Régine se pose sur les dizaines de commerçants qui profitent des exécutions publiques pour vendre leurs produits. Toute la richesse dont elle a été privée sa vie durant s'étale sous ses yeux, des bijoux étincelants aux tissus soyeux en passant par l'abondance de nourriture... Elle voit un homme qui se fraie un chemin, portant dans ses bras un chat afin de le jeter dans le brasier. Comme un demi-million d'autres sorcières guérisseuses-prophétesses-sages-femmes, Régine implore la Déesse afin qu'elles abrègent ses souffrances.

L'histoire de Régine, imaginée à partir de données historiques, s'est répétée maintes et maintes fois au Moyen Âge. Les auteurs qui se sont intéressés à la sorcellerie s'entendent presque tous pour dire qu'un demi-million de femmes furent ainsi exécutées pour sorcellerie au cours de cette période. Ce nombre effarant s'explique par le fait que les femmes de l'époque sont tenues responsables de presque tous les maux. On crie à la sorcière dès que surviennent morts, maladies, bétail perdu, impuissance des hommes, catastrophes naturelles, épidémie, lait qui surit, mauvaise récoltes, accidents, disettes et même le simple chagrin ou l'inévitable coup de tonnerre. Ajoutons à cette liste déjà longue la veuve accusée de sorcellerie par un parent qui convoite son lopin de terre, une femme séduisante accusée par une envieuse, une jeune fille ayant des dons de clairvoyance ou qui affectionne les animaux, les chats en particulier. Bref, tout peut être prétexte aux accusations de sorcellerie. D'autant plus que trouver une coupable est plus simple que de chercher une explication logique ou d'admettre sa part de responsabilité. La tâche des inquisiteurs est facilitée par le fait que n'importe qui peut porter des accusations. Même la parole d'un enfant simple d'esprit ou effrayé par les histoires de sorcellerie est jugée valide. Dans son ouvrage sur les sorcières, J.M. Sallman écrit que vers 1644, un jeune berger sillonne la Bourgogne en prétendant repérer, dans la prunelle de leurs yeux, la marque diabolique des sorcières. Il parvint ainsi à en trouver 6 210 ! Imaginez à quel point la peur est omniprésente chez la plupart des femmes de cette époque. Cette folie collective est alimentée par le pouvoir religieux, car la sorcière, par ses rituels, fait appels à un pouvoir autre que celui de l'Église, minant ainsi l'autorité du prêtre. Ce n'est donc pas parce qu'elles font le mal qu'elles sont éliminées. Sprenger et Kramer, deux tristement célèbres inquisiteurs dominicains, ont rédigé un manuel à l'usage des inquisiteurs, le Malleus Maleficarum (le marteau des sorcières) dans lequel ils écrivent que "personne ne fait plus de tort à l'Église que les sages-femmes. Nous devons rappeler que par sorcières nous entendons aussi celles qui sauvent, délivrent du mal." D'autres représentants de l'Église déclarent que si la femme ose guérir sans avoir étudié, elle est sorcière et doit mourir. Or, les femmes sont exclues des facultés de médecine dès 1460. Marilyn French, professeur à Harvard, précise que les procès de sorcellerie "intentés aux guérisseuses servaient aussi à marquer une nette distinction entre médecins et guérisseuses : ils élevaient les hommes à un niveau intellectuel et moral où ils étaient les alliés de dieu et de la Loi et dégradaient les femmes en les ravalant à un statut sous-humain d'alliées du diable, des ténèbres, du mal et de la magie". Elle ajoute que ces procès reflètent la volonté d'exclure les femmes qui ne se soumettent pas aux normes "mâles" de l'époque. Car la peur que les hommes ressentent à l'égard des femmes est inextricablement liée à la chasse aux sorcières.

Au Moyen Âge, les méthodes d'apprentissage des guérisseuses sont empiriques et leurs écoles est la nature ainsi que le corps humain. En effet, si les sorcières sont parfois accusées de piller les tombes afin de vendre les enfants du Diable, c'est que certaines d'entre elles le faisaient effectivement, mais dans le but d'apprendre l'anatomie à partir des cadavres. Et leurs méthodes d'apprentissage portent fruit. Dans les faits, le savoir des sorcières était tel qu'en 1527, Paracelse, l'un des meilleurs médecins de son temps, "brûla toute la médecine, déclara ne savoir rien que ce qu'il apprit des sorcières."

Plusieurs sorcières interdisaient la divulgation de leurs rites parce qu'elles croyaient que l'énergie spirituelle est liée au secret. Cependant, bon nombre de leurs rituels et connaissances ont traversé les siècles. Nous utilisons encore plusieurs remèdes qu'elles ont découverts, tel que la digitale, employée aujourd'hui pour soigner les maladies du coeur, et l'épherdrine, avec laquelle on traite l'asthme et le rhume des foins. Les livres de magie blanche publiés ces dernières décennies s'abreuvent souvent aux sources les plus anciennes, celles-là même qui inspiraient les sorcières. Par exemple, des Rituels secrets de magie blanche, les génies de la cabale. Un de ces auteurs précise que plusieurs des rituels qu'il décrit sont vieux de plusieurs siècles. Dans les mystères religieux de l'Antiquité, la lumière des chandelles était le symbole de la connaissance, de la spiritualité, et représentait aussi le contrat avec la divinité elle-même. Bien sûr, il y a des dizaines et des dizaines de livres de magie blanche.

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