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Vaisseaux fantômes


La mer a une fâcheuse tendance à avaler ce qui s’essaie à flotter dessus. Parfois elle recrache les coquilles. Certains bâtiment disparaissent ainsi des années durant pour ressurgir dans un écrin de brume ou au grand soleil, transfigurés par l’entropie. Les marins donnent un joli nom à ces épaves livrées au caprice des courants. Ils les appellent derelicts.

Un beau jour d’août 1775, quelque part au nord du pacifique, la vigie du baleinier Herald signale un voilier blanc qui brille étrangement dans la lumière, au point qu’on le dirait pris dans une gangue de cristal. En s’approchant, les marins distinguent sur la coque un nom à demi-effacé mais toujours lisible: Octavius...

Parti d’Angleterre en 1761 pour gagner l’Asie, le navire a emprunté à l’aller la classique route de l’est, mais au retour le capitaine décide de tenter le passage par les îles canadiennes. Autrement dit par la fameuse route du nord-ouest. Voilà plus de deux siècles que des expéditions sillonnent les eaux à la recherche d'une voie commerciale pour atteindre le Pacifique, puisqu’on sait désormais que l’Amérique du nord bouche l’accès vers l’Orient. Mais jusqu’ici personne n’a découvert comment franchir l’archipel.

En attendant, l’Octavius scintille… Lorsque les hommes de l’Herald montent à bord, ils découvrent que tout y est recouvert d’une fine pellicule de glace. Si l’Octavius brille comme un diamant dans le soleil, c’est que tout y a gelé. Une trentaine de cadavresimputréfiés loge dans l’épave, dont le capitaine à son bureau, une plume encore à la main, pétrifié.

«Le capitaine était assis, la tête penchée en avant. Ses mains reposaient sur la table. Une plume à écrire se trouvait près des doigts de la droite. Une mince couche de moisissure verte couvrait le visage, voilait les yeux, mais autrement le corps était parfaitement conservé.

Le journal de bord était sur la table. *Warren [vLe capitaine] le prit, le remit à un de ses hommes, et passa à la cabine suivante. Sur la couchette gisait le corps d’une femme. Contrairement à celle du capitaine, sa figure demeurait intacte et gardait toute l’apparence de la vie. Elle appuyait la tête sur un coude et semblait regarder quelque chose au moment de la mort.» (1).**

Superstitieux, les marins demandent à leur capitaine de retourner à bord de l’Herald. Quelques heures plus tard l’épave de l’Octavius disparaît à la vue de la vigie. Personne ne la reverra plus.

Le journal de bord, encore aujourd’hui conservé dans les archives du **registar Of Shipping à Londres, s’arrête en 1762, sur cette note: «Le fils du capitaine est mort ce matin et sa femme dit ne plus sentir le terrible froid. Les autres souffrent toujours horriblement», ce qui signifie que lorsque les hommes de l’Herald le découvrent, le bateau sillonne le Pacifique dans son écrin givré depuis déjà quinze ans.

Techniquement, l’Octavius est le premier navire à avoir trouvé et franchi avec succès cette fameuse voie du nord-ouest, à ce détail près : il l’a fait avec un équipage de cadavres.

Autre derelict à la cargaison pittoresque et au relooking marin: le Marlborough.

Le vapeur anglais Johnson navigue au large des côtes chilienne lorsqu’il croise la route erratique d’un trois mats à la coque et aux voiles d’un joli vert d’eau. Comme personne ne répond aux appels, un canot est mis à l’eau.

«Le commandant […] constata avec stupéfaction que les voiles de celui-ci étaient vertes, les agrès étaient verts, vert le pont et vertes les superstructures, comme si, par une sorte de mimétisme, le trois-mâts avait pris la couleur de la mer. Il était vert parce que couvert de moisissures. Sur le pont, un pont pourri qui cédait sous les pas, on découvrit des squelettes qui portaient encore des vêtements. Et à la poupe, en lettres aux moulures effritées, mais encore visibles, on lisait : Marlborough, Glasgow.» (2)

Une vingtaine de squelettes en haillons sont découverts à bord, dont l’un tient encore la barre du bateau fantôme, dix reposent dans le poste d’équipage et six sur la passerelle. L’enquète révèle que le Marlborough a quitté Littleton en Nouvelle Zélande, en janvier 1890, soit vingt trois ans plus tôt avec une cargaison de laine et de viande de mouton congelée. Bien qu’aperçu plusieurs fois dans le détroit de Magellan et objet de recherches menées en avril 1890, le bateau n’arriva jamais à bon port et ne fut pas retrouvé avant 1913.

Les causes de la tragédie demeurent toujours un mystère, de même que l’installation de la jolie moisissure verte partout sur le bateau.

(1) Les vrais mystères de la mer, Vincent Gaddis, éditions France-Empire, 1977

(2) Citation extraite du site Le Vaisseau Fantôme

Source : Melmothia, www.melmothia.net